vendredi 10 juin 2011

La francophonie: je l’aime, toi « no more »

La Roumanie : un pays de tradition francophile

Apres la soi-disant « révolution » de 1989 de Roumanie, beaucoup de français ont découvert, surpris, devant leur télé, que des gens inconnus, parfois d’un certain âge, parlaient correctement la langue française, en pleine rue, en manifestant leur colère ou l’euphorie de la liberté…
Ce n’étaient pas de personnes obligées par la ‘securitate’ de montrer aux étrangers combien les roumains sont cultivés ou comment le système de ‘l’époque dorée’ produit des valeurs supérieures au ‘mauvais’ capitalisme. C’étaient des gens qui avaient étudié la langue de Voltaire à l’école, qui admiraient un pays comme un modèle culturel, pour son passé, qui idéalisaient la France et qui utilisaient la langue française aussi comme un moyen de dissidence culturelle dans une société où la règle était d’être ignorant et soumis.

L’american way of life

Il y a quelques années, pendant la visite à Targoviste, la ville de Roumanie dans laquelle j’ai étudié au lycée, j’ai croisé à la rentrée de la Bibliothèque municipale un groupe de jeunes lycéens qui parlaient entre eux en anglais! Ils n’étaient pas des anglais, ni de touristes… Ils étaient de jeunes roumains désireux d’être différents, de se démarquer des « vieux » qui ne comprennent rien de leurs états d’âme et de leur vie …
En même pas 20 ans, un pays francophone, celui qui a offert à la France un Cioran, Gherasim Luca, Ionesco ou Paul Celan, etc, est devenu un pays… anglophone !!!
Le modèle américain, l’« American way of life » se manifestait déjà partout. Dans la musique par exemple ; McDonalds, talk-show, « time is money »... La France et sa culture sont devenues doucement mais surement, des éléments plutôt destinés à une élite intellectuelle un peu rêveuse.

Comment est-on arrivé à cette situation ?

Les sociétés évoluent partout dans le monde, l’acculturation se manifeste activement et laisse derrière elle des changements et des bouleversements souvent irréversibles.
En mars, cette année, au cours de mon séjour à Targoviste, j’ai fait le constat que la bibliothèque francophone était fermée pour toujours. Il n’y avait qu’une femme de ménage, très gentille, qui m’a dit : « Il n’y a plus d’argent, les livres en français sont dans des cartons »… « Les français responsables de la bibliothèque ne sont plus très intéressés par la culture et la francophonie », je me suis dit, en partant avec une amertume au fond de moi. « Les roumains non plus ne sont plus intéressés. Ce n’est pas rentable la culture ».

Le français en troisième langue ?!

A l’école ou j’ai appris les premiers mots en français (après le départ à la retraite de l’excellente professeur de français), l’occasion de réintroduire l’anglais comme première langue est apparue comme une évidence incontestable. Et l’allemand en deuxième langue. L’inspecteur départemental de la spécialité me disait que le français reste malgré tout la première langue dans le département (c’était il y a 3 ou 4 ans !)… Il n’a rien dit ou n’a pas voulu dire quelle est la baisse du français et la montée de l’anglais dans les établissements d’enseignement. Ainsi, le français, de la première langue dans un pays à forte tradition francophone, est en train de devenir, pas la deuxième langue, mais la troisième.

La lutte doit continuer

La réalité est ainsi. On ne peut pas s’opposer individuellement à un changement inhérent de la société, surtout quand des responsables politiques manifestent peu ou pas d’intérêt pour ce domaine. Mais on peut lutter et essayer de garder certaines valeurs, les transmettre à ceux qui sont autour de nous et ainsi marquer notre passage dans la vie avec l’idée qu’on peut obtenir des résultats en ayant quelques objectifs.
On peut se demander comment on est arrivé à cette situation.

Pourquoi la francophonie n’est-elle plus aimée ?

L’été et l’automne 2010… La relation France- Roumanie a connu des tensions jamais rencontrées auparavant. Les journaux, les actualités à la télé présentaient de sujets que je ne souhaite pas mentionner ici. J’avais l’impression qu’une minorité, une ethnie, était devenue du coup le plus grand danger pour la France et les « ambassadeurs » de la Roumanie. La conclusion à laquelle je suis arrivé c’est qu’on ne peut pas aimer à l’infini quelqu’un qui ne vous estime pas. A un moment donné on se dit « ça suffit » et on tourne la page. La France, c’est triste de le constater, n’est plus aimée en Roumanie. Ou moins qu’avant… Mais la Roumanie a-t-elle été aimée en France ?

Les français aiment-ils leur propre langue ?

Si on parle d’une crise de la francophonie, on peut poser la question également de la crise de la langue française en France. Quand beaucoup écrivent « sa va », comment prétendre leur faire connaître le SI conditionnel ou la concordance de temps ?
Certains discours mettent en avant l’importance de l’anglais. L’hégémonie de cette langue se manifeste de plus en plus. Je ne la conteste pas et je ne minimise pas son utilité, mais peut être que, avant tout, il faut encourager l’apprentissage d’une langue française correcte à l’école.
Certains peuvent me demander : « mais toi, tu fais quoi pour la francophonie » ? Moi je ne suis qu’une pièce dans le puzzle de la société. Mais parfois les pièces aussi peuvent changer l’ensemble.

Une association québécoise

Depuis quelques années, je suis membre du comité exécutif d’une association des écrivains de langue roumaine de Québec (lien internet : http://www.aslrq.ro/index.htm). Sa mission est surtout de garder et d’encourager les rapports entre ces deux langues sœurs dans la latinité (le français et le roumain) ; transmettre les valeurs d’une tradition culturelle française qui, malheureusement, vit de plus en plus dans l’ombre de son glorieux passé.

Une autre direction que j’ai choisie dans ma démarche francophone est de publier des livres bilingues, en français et en roumain. C’est ma contribution et je suis fier de la manifester ainsi. Je sais que ça laissera des traces. En Roumanie, à deux reprises, des lycéens m’ont invité dans leurs lycées pour leur parler de la France (que j’aime) et de sa culture, de ma vision de la réalité bien souvent idéalisée ou déformée par les medias en quête de sensationnel ou des discours politiciens et (ou) populistes.

Cet article se veut seulement une petite incursion dans la réalité de la crise de la francophonie en Roumanie. La France et la culture française, tant aimées et admirées auparavant, sont en train de devenir des amours déchues.

Avec plus d’ouverture d’esprit, de tolérance, de volonté, d’intelligence et de motivation, on peut changer quelque chose ensemble.

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